Et si les journalistes allaient au théâtre?
J’ai vu sur un plateau de JT français l’avocate du courtier en bourse le plus célèbre de France, de Navarre, et de tous les royaumes de la planète financière, parler de son client en l’appelant Jérôme, sur un ton à mi-chemin entre amour maternel et complicité sentimentale. Et de pencher la tête sur le côté pour apitoyer les spectateurs sur le sort de ce pauvre innocent pris dans les tentacules de la pieuvre bancaire. Théâtre!
Théâtre dégoulinant, pathos de plaidoirie! Mais il faut bien en rajouter quand les journalistes eux-mêmes témoignent d’un goût appuyé pour la mise en scène et l’artifice. Alors même que le théâtre lui-même se décorsète depuis un siècle. Oui, désolé pour ce néologisme qui vaut son pesant de baleines de soutien-gorge, mais c’est bien ça. Comme les féministes cherchent à troubler, à compliquer, à enrichir les habituels rapports de séduction et/ou de force entre femmes et hommes, le théâtre a rompu les amarres de son esthétique classique. Il ne cherche plus à enfermer le spectateur. Il veut plus sûrement le réveiller au réel ET aux moyens d’en rendre compte. C’est pour cela qu’il s’est risqué depuis longtemps à oeuvrer avec d’autres arts, de la danse à la vidéo. C’est pour cela aussi que théoriciens et praticiens, auteurs et metteurs en scène, cherchent à impliquer le spectateur. Depuis Meyerhold et Grotowski au moins, pour ne citer qu’eux, les voies sont diverses, mais elles ont en commun de réfléchir, et de faire réfléchir sur le théâtre, le réel, et le rapport entre ces deux principes.
Et pendant ce temps, du côté des médias…
Et bien, on continue à entendre des génériques de téléjournaux dignes des meilleurs films de suspens. Ainsi, la très recommandable émission « Médialogues » sur RSR La Première, a-t-elle récemment retrouvé dans celui de TF1 un thème des « Dents de la mer ». Et oui! Sans doute le spectateur n’est-il ni assez curieux ni assez sensible à l’actualité pour ne pas être un peu accompagné…
Personnellement, je me sens freinée plus qu’accompagnée dans ma relation au monde par ce fatras d’artifices. Ainsi, je ne supporte plus cette diction si caractéristique des présentateurs qui consiste à inclure des silences au milieu d’une phrase pour mieux percuter un mot ou un autre, tout cela le plus souvent sans aucun rapport ni à la grammaire ni au sens.
Et il ne s’agit pas ici de s’en prendre exclusivement à la télévision. Aucun média n’est à l’abri de cette contamination. Les journalistes radio se transforment trop souvent en Monsieur Loyal, voire en duo clownesque avec auguste et clown blanc, écrivant à l’avance leurs dialogues avec un don souvent très moyen pour la comédie. Cela donne d’ailleurs à réfléchir sur la barrière puérile qui subsiste dans le monde radiophonique entre les journalistes et les animateurs… Et la presse écrite n’est pas la dernière à se faire aguicheuse, à opter pour des mises en scène graphiques et iconographiques larmoyantes, des unes en forme de levés de rideau où il ne manquerait que les bons vieux trois coups aujourd’hui quasi disparus.
Le problème, c’est que par moment, les médias étouffent tant et tant dans ce corset qu’ils se livreraient tout crûs à leur « public ». D’où l’éclosion de projets où chacun deviendrait alors le journaliste de son temps, sans plus. C’est dire qu’il n’y aurait plus de journalistes… Ils auraient alors le temps d’aller se rendre compte que le théâtre a changé…